Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°15 - Année 2010

 

RITES  ET TRADITIONS DU SORÈZOIS

 (Jean Mistler – extrait du récit : « Le bout du monde » -1963).

 

D’après Yves Blaquière – « Association des Amis de Soréze »

Dossier transmis par E. Grandchamp et J.L. Toupin

EXPOSITION  AOÛT   1977  Maison du Parc de Soréze – du 14 août au 4 septembre

 

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« En ce temps-là, le surnaturel était encore partout,

on parait de couronnes de fleurs les fontaines au mois de mai,

les bœufs prenaient le deuil du laboureur,

on mettait un crêpe aux ruches à la mort du maître de  la  maison… ».

 

 

 

L’ARCHÉOLOGIE ET LES SILENCIEUX DE L’HISTOIRE 

 

A travers les découvertes archéologiques, nous avons surtout recherché l’homme, sa façon de vivre et de penser. Nous le trouvons préoccupé de sa vie terrestre et de sa mort. Nous le voyons, flairant autour d’une source, d’une pierre, d’un paysage, ce que j’appellerai pour simplifier son « surnaturel ». Les siècles et les millénaires passent, l’homme laisse, enfouies dans la terre ou dans la mémoire collective d’une région, les traces d’une zone obscure de lui-même et d’un ensemble de croyances parfois mal définies qui cohabitent tant bien que mal avec l’idéologie de son temps, la Foi qu’il professe officiellement.

 

Pour les périodes historiques, les clercs ont laissé peu de place à tout cela dans leurs écrits. Certains ignoraient, d’autres méprisaient, d’autres enfin toléraient. Ils ne devaient pas en général trouver utile d’écrire ce qui à leurs yeux découlait de l’ignorance, de la superstition. L’Eglise elle-même savait bien qu’elle n’arracherait pas facilement de l’homme cet antique fond de « paganisme ».

 

Elle a souvent préféré baptiser ce qu’elle ne pouvait supprimer. Ainsi en est-il des feux de Saint-Jean, ainsi des lieux de culte…Notre région sorèzienne  se prête bien à l’observation de cette permanence de rites et de traditions.

Ce courant souterrain ne peut qu’être favorisé dans un milieu rural. Il était clos, moins avide de changements et de modes que les milieux urbanisés. La transmission orale se faisait tout naturellement d’une génération à l’autre. Je ne peux ici me permettre d’analyser longuement… Mais je dois le dire la conversation avec tel ou tel paysan m’a souvent éclairé, souvent, aussi, rendu plus attentif.

Tous ces hommes d’antan qui n’avaient pas accès à l’écriture, c’est un peu comme s’ils étaient restés en dehors de l’Histoire. Nous les découvrons peu à peu. L’approche est parfois mal aisée. L’interprétation de ce qu’ils ont laissé ne peut pas toujours être sûre.

 

Pourtant il est nécessaire de faire un pas vers eux. Les personnages célèbres, les « grands » ne sont en définitive que des exceptions, qui ne doivent pas nous aveugler. Notre Histoire a été faite aussi par ceux-là même qu’elle a longtemps ignorés.

 

DU VEAU D’OR AUX CULTES CHTONIENS

 

Les sites archéologiques sont souvent signalés aux chercheurs par une légende ou même simplement une « traduction ».

Expliquons d’abord le mot « traduction ». Les agriculteurs trouvaient-ils des ossements humains en labourant un champ ? Ils appliquaient aux sépultures ainsi découvertes certains noms qui évoquaient des temps très reculés. Ce sont des « Anglais » ou même parfois des « gens tués par Simon de Montfort » (les cathares) qui sont enterrés là. Ces mots ne doivent absolument pas être pris dans leur sens littéral. Ils signifient simplement « très anciens ».

 

Le mot « Ville » traduit généralement le mot « Villa » gallo-romaine. Ainsi à Montgey, « la Ville » s’étendait-elle « du cimetière actuel jusqu’au château », à Palleville, le « Champ de la ville » appartient à l’ensemble que nous appelons pour simplifier « La villa gallo-romaine » d’En Solomiac. (Remarquons que le terme «ville » est assez transparent) Près d’En Benne, la ville disparue garde la réputation de se manifester aux vivants.

Ses cloches, nous a-t-on dit, se mettent en branle et carillonnent à certaines périodes. Ainsi la vie souterraine et enveloppée de mystère, d’ancêtres morts depuis des temps immémoriaux, reste-t-elle proche des vivants. C’est un habitant du hameau qui récemment nous a retransmis cette croyance (en employant un temps du passé, car les hommes d’aujourd’hui semble-t-il- n’entendent plus rien).

La poterie sigillée, les fragments de tegulæ et d’amphores ne laissent aucun doute sur l’origine gallo-romaine de cette « Ville » engloutie dans les labours.

 

A Soréze  même, c’est le mythe du Veau d’or (appelé aussi parfois Mouton d’Or). les anciens habitants de Berniquaut « étaient païens ; et lorsqu’ils se virent assiégés par les chrétiens, ils cachèrent dans les puits et dans les creux de rochers le mouton d’or… qui était leur idole, avec toutes leurs richesses… » (Jean-Adrien CLOS, 1822, Jean MISTLER, dans les souvenirs d’enfance si joliment racontés au début de son livre « Le bout du monde », situe le « Veau d’Or  qu’adoraient nos ancêtres albigeois » dans la grotte du Calel, dans « une galerie que personne n’avait pu atteindre encore, à travers le labyrinthe de couloirs ». Il parle aussi de « souterrains dont l’entrée est perdue, mais qui s’ouvrent avec leurs trésors la nuit de Noël ; juste pendant que sonnent les douze coups de minuit ».

 

Le « Veau d’Or », des générations l’ont cherché vainement.

Il fut longtemps le moteur d’une grande course au trésor. Mais en bien d’autres lieux fort éloignés de Soréze, cet animal fabuleux fait parler de lui. Il désigne chaque fois lui aussi un site archéologique. Et chez nous aussi, c’est bien de cela qu’il s’agit.

 

Situé dans le Calel (sur le causse de Soréze) il n’est pas impossible qu’il indique ce « réseau Vidal-Jullia » (récemment découvert) où les hommes ont extrait, à l’époque médiévale, de l’argile pour les potiers, du marbre pour faire des colonnes (de l’Abbaye ?). Dans ce réseau, telle salle couverte de graffitis pourrait avoir une signification religieuse (cultes chtoniens).
Situé sur Berniquaut, le doute n’est plus possible. Il signale l’oppidum gaulois « Verdun », devenu au Moyen Age le village de « Bruniquel »

 

vraisemblablement déserté dans le courant du XIIème siècle. Les travaux effectués jusqu’ici prouvent au moins deux mille ans d’occupation de ce site mais n’excluent pas qu’avant même le premier Age du Fer, les hommes de la Préhistoire pouvaient y séjourner.

Dans une enquête bibliographique menée par Maurice de Poitevin, en 1967, nous remarquons la présence d’une autre légende. Quelques personnes particulièrement simples et crédules prétendent avoir vu, la nuit, deux ombres blanches d’une grande ressemblance se promener parmi les ruines : « pâles et échevelées, elles disparaissaient et réapparaissaient à intervalles plus ou moins réguliers dans le creux d’un rocher ». (Cité d’après Auguste Galabert « L’Abbaye de Soréze »1847).

 

Faut-il assimiler cela au mythe de « La dame blanche » ? Certains archéologues ont lié cette croyance à une forme du culte des morts et de l’Au-delà. Si on ne peut qu’être prudent, il faut toutefois ne pas exclure une possibilité : l’antique oppidum pourrait se trouver lié, dans la mentalité populaire, à une foi en la survie de l’âme des ancêtres. Ce serait en quelque sorte la montagne sacrée.

 

Je n’ai pas été étonné d’entendre récemment une voisine, pestant contre ses voisins d’aujourd’hui, déclarer qu’elle aimerait bien vivre, comme ceux d’autrefois, sur Berniquaut. A nouveau, ce site devenait pour elle le refuge où se trouvait la paix. Sa réflexion reflétait, sans qu’elle le sache, ce que l’archéologie nous révèle : à chaque époque troublée, Verdun (ou Bruniquel) retrouvait ses habitants.


Je ne peux pas terminer ce chapitre sans citer une autre page de J. H. Clos. Il nous dit que « Le peuple de la contrée» voyait « l’antique Verdinius » comme « le séjour du démon et très favorable aux sorciers ». Et il raconte une anecdote qui se situerait quelques années avant la Révolution : « …un certain Bardou de Soréze se joignit à d’autres mauvais sujets de Verdalle  et des villages voisins.

 

"Ils se rendirent à ces ruines par un temps orageux, munis de quelques livres de magie et de divers instruments. Après avoir fait pacte avec le démon, deux d’entre eux pénétrèrent dans un réduit profond, tandis que leurs camarades récitaient les formules. L’imagination frappée, ils crurent voir des figures monstrueuses et ils furent tellement saisis d’effroi, qu’ils eurent de la peine à se retirer. Mais leur terreur augmenta par la violence de l’orage qui fut des plus extraordinaires. Pendant plusieurs jours, ils furent obligés de se cacher pour se soustraire à la vengeance du peuple, qui attribuait l’orage et ses effets à leur impiété ».

 

Pendant ses 2000 ans d’existence, l’oppidum de Berniquaut a vu se succéder des cultes différents avant de devenir chrétien. Peut-être faut-il voir un souvenir de ces cultes païens dans « L’idole ». Veau d’Or ? Peut-être aussi les lieux où l’imagination populaire le cache (le Calel, les grottes de Berniquaut) et l’anecdote diabolique que je viens de citer, également située, soulignons-le, dans un « réduit profond » (probablement l’une des grottes appelées « chambres ») pourraient-ils être considérés comme les échos lointains de ces cultes chtoniens que j’évoquais au sujet du réseau Vidal-Jullia ?

 

L’EAU

 

A Soréze, « …On parait de couronnes de fleurs les fontaines au mois de mai… » écrit Mistler, évoquant les premières années de ce siècle.


 
  Dans son album de gravures : « Souvenirs de Soréze », A  de Paleville (ancien élève de l’école) a intercalé entre chaque planche une feuille où les renseignements plus ou moins historiques laissent

 

place heureusement à des coutumes de son temps (Second Empire). A propos de la vallée de la Mandre, il note : « On trouve à deux kilomètres, en remontant la vallée, la fontaine de la Mandre, source excellente et qui ne tarit jamais. La fraîcheur et la qualité supérieure de ses eaux lui a acquis une grande réputation dans le pays. Cette fontaine servait autrefois de but de promenade aux habitants de Soréze. La population ouvrière s’y rendait particulièrement le matin de la Saint-Jean avant le lever du soleil. Une vieille légende, presque oubliée de nos jours, entretenait cet usage qui s’est totalement perdu depuis que la fontaine ne jaillit plus à découvert… »

 

S’il est regrettable que Paleville n’ait pas cité la légende, il est heureux qu’il n’ait pas négligé de nous montrer le milieu populaire allant le matin de la Saint-Jean, avant le lever du soleil, en promenade (c’est plutôt procession qu’il faudrait dire) à cette fontaine. Il semble bien qu’il s’agisse là d’un culte des eaux. On pourrait m’accuser de grossir la chose or, ce que nous allons lire au sujet de la vallée du Baylou (Dourgne) vient apporter un témoignage encore plus précis qu’il est difficile de sous-estimer. En 1818, M. Massol écrivait de « …La fontaine dite de Moniès ou de Saint-Jean, dont les eaux vénérées descendent par un ravin jusqu’au pied d’une croix qu’on y a plantée. C’est là, dit-on, qu’en tout temps on fait des ablutions mystérieuses sur les parties du corps que la douleur tourmente ; mais c’est principalement  le jour de Saint-Jean qu’on prétend que le soleil levant danse en éclairant la fontaine de Moniès, que les eaux sortent à plus gros bouillons, et que les guérisons sont infaillibles… ».

 

Comme dans la vallée de la Mandre à Soréze, nous retrouvons donc ici, mais plus explicite, et le culte de l’eau et les premières heures du matin de la Saint-Jean…

En 1950, Jean Magné parle aussi de la fontaine de Mouniès (qui serait dénommée indifféremment : fontaine des Moines ou de Sainte Eutrope).

« Sur la rive droite du ruisseau de Limatge, quelques mètres au-dessus du lit et presque en face de la carrière Espérou, (1km environ au S. S. O. du moulin du Baylou) une jolie source jaillit d’une fissure du rocher...

 …Cette exsurgence a été signalée dès 1649 par Pierre Borel… puis par Caravin-Cachin en 1867, 1872 et 1898… et par Azémar en 1910… La source a été sanctifiée et dédiée à Sainte-Eutrope. Mais elle a été connue de  tout temps par les habitants du pays. Les romains en avaient fait une fontaine sacrée. Mr Espérou, de Dourgne, y a recueilli quelques monnaies romaines qui avaient été, sans doute, offertes à la divinité des eaux. Encore de nos jours, suivant la coutume qui remonte peut-être à cette époque lointaine, les jeunes fiancés se rendent à la source pour assurer leur bonheur…». Robert Jalby, citant le docteur Clos : « Les  sources de Moniès et de Saint-Jean, dans un ravin non loin de Soréze (canton de Dourgne) étaient autrefois vénérées.

On y venait au début du XIXème siècle se laver les yeux, les oreilles, la tête, en laissant ensuite les linges mouillés sur les buissons voisins. » En 1910, Azémar signale ainsi «  la source de la Montagnarié » : « Dans ses « Antiquités de Castres », publiées en 1649, Pierre Borel, médecin et naturaliste, parle de cette source et en explique les phénomènes comme suit : « Dourgne n’a rien de notable qu’une fontaine qui, outre qu’elle guérit de la gale et autres maladies du cuir, a le flux et le reflux, comme la mer ; sur quoi nous pouvons dire que les philosophes ont esté autant gehenné à en raisonner qu’Aristote à chercher la raison du reflux qu’Euripe a, par sept fois, en un jour ».

 

A Durfort, ce n’est pas de miracles que j’ai entendu parler, mais de l’action bienfaisante de l’eau de la fontaine Saint-Etienne. Elle soulage et peut-être guérit les rhumatisants (et je crois bien les maladies urinaires)

De Revel, de Soréze, on y va encore aujourd’hui, muni de bonbonnes. Sa vieille réputation se maintient d’une manière étonnante, aussi bien semble-t-il chez les protestants que chez les catholiques.

 

Au début du XXème  siècle, l’eau de Soréze garde la confiance des habitants puisqu’on « parait de fleurs les fontaines au mois de mai ». Mais ceux qui s’adonnaient à ces pratiques n’écrivaient pas leurs motivations profondes.

La classe pensante quant à elle, croit aux vertus de cette eau et lui attribue même le fait « que les habitants y deviennent vieux ». C’est ce que nous trouvons sous la plume de F. Lacroix. Mais tout se désacralise, jusqu’à l’eau. Et Lacroix justifie sa conviction par l’analyse faite au « Laboratoire du Comité consultatif d’hygiène ».

Il n’est plus question que de carbonate de magnésie, de carbonate de chaux…

Dès que nous nous éloignons de ces cités telles Dourgne, Soréze, Durfort, placées à l’entrée des vallées, remarquons-le, l’eau perd de son prestige. Revel, par exemple, avait une mauvaise et tenace réputation.             (C’était d’ailleurs justifié).

Mais nous avons noté dans Revel et ses abords proches, deux traditions significatives. Sur la place centrale, (Galerie du Levant) était le couvent des Jacobins. Au moment des guerres de Religion, les protestants massacrèrent une vingtaine de religieux et les ensevelirent sur place. Depuis, rapporte la tradition, l’eau de la fontaine conventuelle coule rouge-couleur de sang chaque année, pour l’anniversaire de ce massacre.

 

Nous trouvons une tradition assez proche, entre Vauré et Gandel sur l’antique site de Saint-Sernin, exactement au lieu dit « la Métairie neuve ». Le puits proche de la vigne donne depuis des temps bien reculés une eau « corrompue ». De nombreux croisés Allemands ont été tués là par des soldats de Montgey, expliquent les gens du pays. Ils auraient été ensuite jetés dans ce puits.

Sept siècles après, l’eau ne s’est pas purifiée et reste répugnante.

Il semble que dans ces deux cas, la « Malédiction » soit d’origine religieuse et ait débordé sur l’eau de Revel. Aujourd’hui, de Picotalen, descend une eau parfaitement potable. Quelques familles revéloises restent pourtant fidèles à la fontaine Saint-Etienne.

 

LA  PIERRE

 

« Les maisons de Soréze sont plus agréables à habiter que celles de Revel. » (Cette comparaison avantageuse pour notre cité ne n’étonne guère puisqu’on dit depuis longtemps que « Soréze et Revel n’ont pas le même bon Dieu ».) Ce qui me frappe davantage, c’est la manière dont mon interlocutrice l’explique. « Ici on bâtissait avec les pierres de ruisseau. Elles sont restées dans l’eau, si longtemps, qu’elles ne peuvent plus perdre leur fraîcheur. C’est pour çà qu’en été, il fait si bon, dans nos maisons ».

 

Lors d’une précédente exposition, j’avais signalé le rôle de porte-bonheur qui fût longtemps attribué aux blocs de marbre de Berniquaut avec lesquels, à l’époque romane, avait été édifiée l’ancienne abbaye. Ils sont généralement bien taillés, reconnaissables à la couleur (blanc légèrement bleuté), souvent aussi sculptés. Modillons, chapiteaux, tailloirs, sont utilisés indifféremment. La partie sculptée n’est pas ce qui intéresse le plus.

 

Sur le plan utilitaire, il est bien évident qu’un village déserté comme Berniquaut, une Abbaye démolie au cours d’une guerre, deviennent de véritables et peu coûteuses carrières de pierre. Mais à cela s’ajoutait, paraît-il, un rôle bénéfique (qui nous fait perdre, hélas, de véritables documents sur le XIIème siècle).
     Mr JALBY a relevé dans plusieurs auteurs des croyances se rapportant à la proche montagne.

Ainsi le menhir de Picarel (près de Saissac) « passe pour grandir tous les ans. Autrefois, les bergers pouvaient dit-on, s’y asseoir dessus. « Près d’Arfons » un rocher naturel fait l’objet d’une légende analogue ».

 

Les pierres plantées ont à peu près disparu mais ont laissé leur nom à des lieux. Les plus proches doivent être celles de Peyro-Basal (au dessus de Saint-Ferréol) et surtout celle qui est située très près de Beauregard.

J’ai remarqué que les cupules visibles sur un rocher du chemin des crêtes (entre la Jacournassy et Berniquaut) étaient considérées comme les marques laissées par des fusillades lors d’une guerre lointaine.

 

Ici, comme ailleurs, il n’est pas étonnant de voir considérées comme des amulettes les haches de pierre polie et certaines furent trouvées sur les poutres d’une étable. L’exceptionnelle hache de jadéite -objet rituel- (Age du bronze) fut,  au cours d’une fouille déjà ancienne sortie d’une grotte. Or, celle-ci se trouve située dans une vallée où ont toujours fleuri diverses formes de religiosité. Il semble qu’il n’y ait pas d’interruption dans la « Vocation religieuse » de ce lieu à travers trois millénaires au moins.

   

Avant de terminer ce trop rapide chapitre sur « La pierre », je voudrais évoquer ici Saint-Stapin ; la tradition rapporte qu’il a laissé sur le plateau de Saint-Ferréol, qui domine Dourgne, des traces inscrites justement dans la pierre. En 1818,  M. Massol  écrivait : « Sur le haut de la  montagne… est   une plate-forme composée de rochers peu saillants, mais percés de trous qui portent, dit-on, l’empreinte des membres divers sur lesquels le saint s’appuyait ou se prosternait, soit pour prier, soit pour faire des  pénitences extraordinaires. Par conséquent, les estropiés  et les rachitiques ne manquent pas, après avoir fait neuf fois le tour de l’oratoire, d’introduire leurs membres endoloris dans le trou destiné à chacun d’eux,

, soit la jambe, soit le bras, soit la tête. Quand les infirmes ne peuvent pas s’y placer par eux-mêmes, ils y sont portés par des personnes charitables ; les enfants y sont placés bon gré, mal gré, par leurs mères. Qu’en arrive-t-il ?  On assure que les boiteux sortent de là marchant fort droit ; les aveugles voyant très clair, les paralytiques pleins de vigueur. Du moins, les murs du temple attestent des miracles et des offrandes sans nombre ».

 

Massol précise que « le 6 août jour de sa fête, un peuple immense accourt de loin dans ce lieu ». Mais tout cela ne l’éblouit pas. Car, pour ces pèlerins, dit-il : « la liberté de vaguer la nuit dans les bois (ils augmentent) souvent le nombre des malades, et (ils produisent) plus d’effets scandaleux que de miracles… ». 

Le même auteur nous donne l’opinion de l’Eglise et des milieux officiels à ce sujet : quelques évêques de Lavaur et le Parlement de Toulouse se réunirent pour mettre un frein à cette bizarre dévotion… ».

Massol mettant dans le même sac Saint-Stapin  et la fontaine de Moniès (évoquée dans le chapitre « L’Eau ») va conclure ainsi : « …On est tenté de croire que c’est un reste de ce culte païen dont les gaulois honoraient les montagnes et les fontaines ; peu s’en faut même qu’on ne voie dans le prétendu Saint-Stapin le nom défiguré de quelque ancien druide… ».

 

Pour ma part, je sais que des Vauréens, il y a un siècle à peine, n’hésitaient pas à louer un âne pour faire un pèlerinage curieux à Saint-Stapin. Il s’agissait de fiancés. Ils venaient, disait-on, toucher le VERROU DE Saint-Stapin (c’était le verrou de la porte de la chapelle). Cela devait leur assurer la fécondité.(Il faudrait rapprocher cela des fiancés qui allaient à la proche fontaine de Moniès). Ce genre de traditions se transmettait à l’intérieur des familles mais ne s’écrivait pas, Saint-Stapin, présenté comme un évêque de Carcassonne a fait l’objet, notamment vers la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, d’un culte que l’Eglise locale ou régionale n’a pas craint d’organiser. Le frère Vincent Ferras,  récemment, s’est fait l’écho de ce culte éminemment populaire tel qu’il a été « canalisé » par l’Eglise. Pour ma part, je reste -sur cette question- assez réservé.

 

Je ne suis pas loin de penser que devant l’enthousiasme populaire, l’Eglise a préféré, plutôt que de heurter une antique croyance, utiliser le sentiment religieux -même s’il n’était pas très orthodoxe- et le « baptiser » en quelque sorte. N’est-ce pas ce qui se passait, aux premiers temps du christianisme en Gaule, lorsque le lieu de culte païen était choisi pour devenir lieu de culte chrétien ? On peut devant ce procédé parler de permanence. Certains y verront une habileté un peu machiavélique. Je ne suis pas aussi sévère et j’y décèlerai plutôt le respect dû au sentiment religieux.

 

LA  MORT

 

« …les bœufs prenaient le deuil du laboureur, on mettait un crêpe aux ruches à la mort du maître de la maison… »

Jean Mistler enfant, voyait cela. Un de nos amis de la section d’archéologie, Léon Sémat, mort ces dernières années, nous l’avait également signalé. Il s’occupait beaucoup d’abeilles et avait constaté la persistance de ce deuil des ruches.

 

Le témoignage de Massol date de 1818. Il parle en ces termes du canton de Dourgne : « …Autres superstitions… du peuple qui habite ces montagnes : il lui faut nécessairement un chemin pour les nouveaux nés qu’il porte à l’église, et un chemin différent pour les morts qu’il porte au cimetière : ceux-ci, quelque long que soit le trajet, ne sont jamais trainés par des bœufs ni des chevaux ;

on serait trop étonné de trouver ces animaux en vie le lendemain : tant est immense pour eux le poids d’un mort ! Sont-ce des hommes qui font l’office de porteurs ? Ils se sentent tantôt écrasés, tantôt allégés par une puissance invisible ; néanmoins, ils se font une loi de ne jamais se dessaisir du fardeau pour prendre haleine ; et ceci n’est pas une pure superstition, car ils savent que les femmes du convoi portent sur leur tête des corbeilles pleines de vivres et de vin dont ils auront leur part à la fin de la course… »

 

Une remarque brève concernant le début du texte cité. L’église pré romane de Saint-Jammes, dont il ne reste plus que la base des murs, montre encore l’emplacement (qui fut ensuite muré) de ce que l’on appelle « la porte des morts ».

 

L’autre remarque vise les dernières lignes : « …Les corbeilles pleines des vivres et de vin… » Cela se rattache directement aux antiques LIBATIONS rituelles. Pour rester dans un rayon assez court, nous montrerons d’abord la fosse funéraire que notre section d’archéologie mit à jour en juillet 1972, à Paleville. Je ne la décrirai pas ici mais dirai seulement qu’elle date de la première moitié du premier siècle de notre ère.

Il s’agit comme l’a écrit Christophe Blaquière : « …d’une forme tardive du puits funéraire gaulois, où l’on retrouve à peu près intactes, en pleine civilisation gallo-romaine, les pratiques funéraires régionales de la Tène III. » dans la couche dite libatoire (entre 1,05m et 1,35 m, au dessous du niveau du sol) « …Le mobilier est très dense, composé de fragments d’amphores vinaires, de vaisselles brisées, d’ossements animaux (on y trouve notamment du cheval, du mouton, du porc, du bœuf). Ce sont les restes du repas funéraire. Surtout concentrés dans la partie sud, ils ont du être jetés à partir du côté nord… ».Pour des périodes beaucoup plus récentes, Michel Vialèlle et Jean Bordenave ont attiré l’attention sur ce qu’ils appellent les « Fosses à offrandes ».

 

Ces fosses longtemps considérées comme de simples silos utilitaires, ne contiennent pas les cendres des morts, mais les offrandes qui leur sont faites. Dans une ancienne dépendance de l’Abbaye de Soréze, à Dreuilhe, des fosses de ce type ont été mises à jour par des travaux de terrassement, au  pied de l’actuelle église et fort près de ce que la tradition populaire nous a signalé comme étant un cimetière. Les fosses funéraires sont bien connues. La notion de « Fosses à offrandes » a plutôt déconcerté. D’autant plus que les travaux de Vialèlle et Bordenave montraient la persistance de rites païens dans des époques comme le Moyen Age et même plus rapprochées de nous.

 

Or, j’ai eu l’occasion, il y a deux ans, de présenter ici même le cahier d’un « Chien-Blanc » autrement dit d’un compagnon boulanger du Devoir. L’auteur de ce cahier, Jacques MASSOT, dit « Toulousain la Fidélité », est né à Soréze, au moulin de Lauzy, et a été « reçu à Rochefort en 1853, le jour de la Toussaint. ». Ses écrits portent le titre « Instruction pour le Compagnonnage ». A travers le récit de la mort de Maître Jacques, de la « maladie » entendez : mort d’un Compagnon du XIIIème siècle et de celle d’un Compagnon du XIXème siècle, nous découvrons d’étranges rites où les offrandes au mort, le repas libatoire, prennent naturellement leur place.

 

On y voit aussi comment, au cours des siècles, telle ou telle pratique s’est modifiée. Par exemple, le feu rituel encore cité au Moyen Age, n’est plus présent au XIXème siècle que sous la forme d’une chandelle. Jacques Massot ne pensa pas une minute qu’il accomplissait des gestes préchrétiens et la partie proprement « catholique » de l’enterrement (l’église, le prêtre, les prières) devait suffire à le rassurer, s’il en avait besoin. Gaston Durand-Gorry et Jean de Trigon citent une vieille coutume locale des environs d’Arfons :

« …Trois fois par an, en mars, octobre et novembre, on ouvre des sortes de puits pour permettre aux âmes enfermées dans le sol de respirer.

C’est ce qu’on appelle les « Mundi ». Le nom de terme de moundi est resté de cette pratique et en conserve la mémoire. »

 

Les hommes que j’ai appelés « Les silencieux de l’Histoire » arrivent jusqu’à nous par l’archéologie, les traditions populaires, les rites… A travers leur vie sont passés des courants qui prennent source dans des périodes aussi lointaines que la protohistoire et même la préhistoire. Cela nous étonnerait moins si nous prenions le temps de regarder nos contemporains et, en définitive, nous même.
 

A - LIVRES

 

1.                 Fernand Benoit : « Arts et dieux de la Gaule » (1969)

2.                 Bordenave et Vialèlle : « La mentalité religieuse des paysans de l’Albigeois médiéval » (1973)

3.                 J. A. Clos : « Notice historique sur Soréze et ses environs » (1822)

4.                Fabre et Lacroix : « La vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXème       siècle »

5.                 Frère Vincent Ferras : « Saint-Stapin de Dourgne en Albigeois » 

6.                 Robert Jalby : « Le folklore du Languedoc » (1971)

7.                 Lacroix : « Vieille ville de Soréze » (1913)

8.                 Jean Magne : « Etude spéléologique des Monts du Sorèzois » (1950) 

9.                 Massol : « Description du département du Tarn » (1818)

10.             Jean Mistler : « Le bout du monde » (1964)

11.             Montagné : « Saint-Stapin, évêque de Carcassonne » (1910)

1.                 Nayral : « Biographie Castraise » (1835)

2.                 Paleville : « Souvenirs de Soréze (sans date, probablement Second Empire) »

 

 REVUES     

 

3.                 La revue du Tarn ; n° 50 (juin 1968)

4.                 La revue du Tarn 

5.                 « Lo Revelh d’Oc » n° 7 et n° 9

6.                 La vie dominicaine n°46 (1946)

7.              Société de recherches spéléo archéologiques du Sorèzois et du Revélois bulletin n° II (1972-1973)

8.              Catalogue de l’exposition :

           « De l’oppidum de Berniquaut à l’Abbaye de Soréze ». Maison du parc de Soréze (1974)

 

 

B – DU VEAU D’OR AUX CULTES CHTONIENS

 

1.                 Les « villes » disparues de la plaine ou les villa gallo-romaines

2.                 Le veau d’Or -    réseau Vidal-Jullia - Oppidum de Berniquaut

 

 

C – L’EAU

 

D - LA PIERRE

1.                 Quelques éléments de l’abbaye romane de Soréze (fin du XIème  et début du XIIème siècle)

2.                 Hache de jadéite (objet rituel). Age du Bronze.

 

E - LA MORT

1.                 Fosse funéraire de Paleville (première moitié du premier siècle)

2.                 Fosses de Dreuilhe

3.                 PEGAU provenant du vieux Durfort

4.                 Plan de l’église de Saint-Jammes

5.                 Instructions pour le Compagnonnage

6.                 Quelques souvenirs du Compagnonnage

 

F-DIVERS

1.                 L’arbre croix de Gandels

2.                 Saint-Loup

3.                 Saint-Martin

4.                 Adam et Eve

5.                 Cartes

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